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Comité sur le copyright et autres problèmes juridiques (CLM)

Position de l'IFLA sur le droit de prêt

Avril 2005

Introduction

La Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d'Institutions (IFLA) est une organisation non-gouvernementale (ONG) représentant les intérêts des bibliothèques et des services d'information ainsi que ceux de leurs usagers dans le monde.

Les bibliothèques sont ouvertes au public, comme d'autres institutions culturelles, scientifiques et d'éducation à but non lucratif. Elles ont été créées pour servir le public et garantir un accès libre et sans limite des citoyens à la connaissance et à l'information produite par l'humanité qui a pu être recueillie. Elles jouent un rôle essentiel dans le développement et le maintien d'une société démocratique en permettant à tous les membres de la communauté d'avoir accès à un large éventail de savoirs, d'idées et d'opinions. Les bibliothèques publiques, en particulier, permettent à tous, notamment aux enfants et aux jeunes adultes d'acquérir et de développer l'habitude de lire. En tant que réservoir d'idées et sources de savoir, elles fournissent aussi toutes les possibilités de formation et de recherche.

Les bibliothèques et les services d'information sont les portes essentielles de la culture et de l'information pour les utilisateurs, y compris pour les créateurs d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. En tant que représentants reconnus de leurs utilisateurs, elles tiennent un rôle central lorsqu'elles veillent à ce que les besoins de connaissance de la société soient considérés comme une priorité et pris en compte face aux droits patrimoniaux et moraux des titulaires du droit d'auteur.

En outre, les bibliothèques et les services d'information sont des clients importants pour les producteurs d'information, lorsqu'ils acquièrent des documents analogiques et numériques. Ils sont aussi les principaux utilisateurs des organismes gérant le droit de reproduction, en tant que licenciés principaux, qui peuvent élargir l'accès et l'utilisation des oeuvres protégées par le droit d'auteur au-delà des limites des exceptions définies par la loi sur le droit d'auteur. Travaillant dans le cadre de ces exceptions et limitations, elles veillent à ce que les utilisateurs aient un accès équitable et légal au savoir contenu dans les oeuvres protégées par le droit d'auteur, tout en respectant la propriété intellectuelle des auteurs, acteurs, éditeurs et autres producteurs des oeuvres.

La position de l'IFLA sur le droit d'auteur, telle qu'elle la soutient depuis longtemps, est que les droits économiques des fournisseurs d'information doivent être équilibrés avec les besoins en information de la société. La tendance naturelle importante qu'ont le droit d'auteur et les droits voisins à s'étendre à de nouveaux domaines a conduit à une augmentation de l'usage des licences, dans de nouvelles activités telles que le « droit de prêt ». Tel est l'objet de cette prise de position. L'IFLA croît, qu'à moins qu'un grand soin soit apporté pour préserver et même renforcer les exceptions et les limitations au droit d'auteur dans le monde pour maintenir cet équilibre, cette tendance va avoir une influence négative sur l'éducation et la recherche et ses produits, que représente le progrès culturel, scientifique et économique des individus, des nations et de la société, ce qui affectera particulièrement les pays en développement.

Qu'est-ce que le droit de prêt ?

Le droit de prêt public (DPP) n'existe pas dans tous les pays, et, lorqu'il existe, varie d'un pays à l'autre. Mais ce terme s'applique à deux différents concepts :

1. Au sens juridique le plus strict, le DPP peut être un droit d'auteur - un des droits limités accordés au détenteur d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur. Il donne au détenteur le droit d'autoriser ou d'interdire le prêt public d'une oeuvre protégée sous une forme tangible* après que l'oeuvre ait été distribuée au public. L'autorisation du prêt public peut provenir d'une licence et après paiement de droits aux auteurs par l'intermédiaire de sociétés de gestion collectives de droits d'auteurs.

2. Un deuxième concept quelque fois appréhendé aussi comme DPP, est un « droit de rémunération » qui est le droit pour un auteur (qui n'est pas forcément le détendeur du droit d'auteur) de recevoir une compensation financière pour le prêt public de son oeuvre. Lorsque des pays ont choisi d'adopter ce droit à rémunération ils ont défini leurs propres critères d'éligibilité et dans certains cas (pas tous) ce droit remplit des objectifs culturels. Dans certains pays, le droit à rémunération est fixé par la loi comme alternative au DPP (au sens décrit ci-dessus (1)), et peut être compris comme étant associé au droit d'auteur. Dans d'autres pays, la rémunération est fixée hors du droit d'auteur. Mais dans les deux cas, la rémunération des auteurs n'est pas considérée comme étant un paiement réalisé au titre du droit d'auteur.

*(Le prêt public n'est pas un acte d'extraction ou de réutilisation d'une base de données. Il s'applique aux oeuvres sous forme matérielle seulement.)

Plus d'information sur droit de prêt

Pour plus d'information sur le droit de prêt, son cadre juridique actuel et son application dans différents pays, vous pouvez consulter un exposé sur le contexte du droit de prêt public proposé sur le site de l'IFLA : Background Paper on Public Lending Right

Position de l'IFLA sur le droit de prêt

L'IFLA a déjà affirmé ses valeurs et ses principes fondamentaux sur le libre accès aux idées, à l'information et aux oeuvres de fiction ainsi que sur le libre accès aux bibliothèques publiques, leur place dans l'infrastructure nationale et sur le droit de prêt public. Les voici :

1. Les valeurs fondamentales de l'IFLA

Ce sont :

2. La bibliothèque publique doit être en principe gratuite. ELLE relève des autorités locales ou nationales. Elle doit être établie par une législation spécifique et financée par les gouvernements nationaux ou locaux. Elle doit faire partie d'une stratégie culturelle à long terme pour la culture, la fourniture d'information, l'alphabétisation et l'éducation. Voir le « Manifeste pour les bibliothèques publiques IFLA/UNESCO de 1994 ».

3. L'IFLA est persuadée que le prêt, par les bibliothèques, d'oeuvres publiées ne doit pas être restreint par la loi et que des règlements contractuels, tels que les accords de licences, ne doivent pas empêcher un prêt raisonnable des ressources électroniques par les personnels des bibliothèques et des services d'information. « IFLA CLM : Limitations et exceptions au copyright et droits voisins dans un environnement numérique : perspective internationale (révisée 2004) ».

4. Il est important que les ressources nécessaires au paiement du droit de prêt ne soient pas prises sur le budget des bibliothèques destiné à l'achat de documents. Mais le droit de prêt, s'il est financé séparément, peut apporter un soutien aux auteurs sans affecter le budget des bibliothèques. Dans certains cas, il peut apporter des informations statistiques intéressantes sur le prêt des livres de certains auteurs. Les bibliothécaires doivent participer au développement de schémas de droit de prêt pour veiller à ce qu'ils ne soient pas financés sur le budget des bibliothèques. Voir : Manuel de développement IFLA/UNESCO du service public des bibliothèques 2001 (p17 para 2.3.3).

En fonction de ces principes, l'IFLA affirme qu'elle

n'est pas en faveur du droit de prêt, lorsqu'il menace le libre accès aux services des bibliothèques accessibles au public, qui sont un droit du citoyen. L'IFLA soutient la liberté d'accès à l'information et continuera de s'opposer à toutes les menaces qui peuvent entraver cet accès.

Le prêt public est essentiel à la culture et à l'éducation et doit être accessible gratuitement à tous. Il est donc dans l'intérêt public que le prêt ne soit pas limité par la loi ou par des clauses de contrats. Même si le soutien culturel et social fourni aux auteurs par la plupart des systèmes de droit de prêt est louable, la justification donnée en général pour le droit de prêt - à savoir que l'utilisation des oeuvres protégées par le droit d'auteur dans les bibliothèques publiques réduit les ventes - ne peut être prouvée. En fait, le prêt des bibliothèques publiques fait la promotion des oeuvres protégées par le droit d'auteur et encourage les ventes.

Bien qu'il n'y ait pas de demande au niveau international pour adopter le droit de prêt, soit par un traité soit par une convention, plusieurs pays, notamment en Europe, ont fait du prêt un acte restrictif au nom du droit d'auteur et il est probable que d'autres pays adopteront se système. C'est pourquoi, il est impossible de négliger la question du développement du droit de prêt et les bibliothécaires doivent pouvoir influencer la mise en place de systèmes de droit de prêt dans lesquels ils seront intégrés puisque l'introduction de tels systèmes présente un risque pour les services des bibliothèques publiques sauf si ce sujet devait être abordée avec soin par les législateurs.

Dans les pays où le droit de prêt a été introduit, les bibliothécaires peuvent, dans de bonnes conditions l'accepter comme étant un moyen de reconnaissance culturelle et de sécurité économique et sociale pour les auteurs, si le support administratif et financier du droit de prêt n'est pas alimenté par le budget des bibliothèques mais par l'État en tant que soutien culturel. L'IFLA préconise que l'introduction du droit de prêt ne doive pas avoir d'influence sur les coûts d'accès des utilisateurs à l'information proposée par les bibliothèques publiques.

Recommandations concernant l'introduction ou la modification du droit de prêt

1. Principes de financement

L'accès aux bibliothèques publiques, que ce soit pour utiliser les oeuvres qu'elles contiennent sur place ou pour les emprunter, doit rester gratuit. En outre, les coûts du droit de prêt ne doivent en aucun cas affecter la qualité et la variété des services que les bibliothèques fournissent gratuitement. Par conséquent, afin de soutenir au mieux les objectifs nationaux culturels et d'éducation, les fonds destinés au droit de prêt pour rémunérer les détenteurs de droits ne doivent pas provenir des budgets des bibliothèques mais de l'État sur une autre ligne budgetaire.

Justification
Les bibliothèques qui servent le public sont directement financées par l'État ou les collectivités locales. Elles offrent leurs services souvent avec de maigres budgets et ne sont donc pas en mesure de trouver d'autres sources de financement pour acquitter le droit de prêt, que celui-ci prenne la forme d'une rémunération ou d'un système de licence. Si elles y étaient contraintes, elles devraient réduire leurs budgets d'acquisition, leur personnel et toute provision destinée à leurs services, au détriment du choix des usagers et de son accès. Outre ces réductions, elles se verraient obligées de faire payer aux usagers leurs prêts et l'usage de la bibliothèque..

« Tout le monde a le droit à un égal accès aux services publics dans son pays. » (Déclaration universelle des droits de l'homme Art. 21(2)). L'accès qui n'est pas gratuit ne peut être égal. Tout refus de l'État de financer sa culture nationale et le rôle de ses bibliothèques publiques ainsi que d'autres établissements culturel, d'éducation ou scientifique à but non lucratif qui fournissent un accès à l'information, conduit à nier l'égal accès au savoir et à la connaissance de tous ses citoyens, non seulement les membres les plus vulnérables de la société, mais aussi les auteurs eux-mêmes. Tout le monde dans la société a besoin de bibliothèques accessibles librement pour y trouver le savoir et l'information afin de développer sa créativité intellectuelle.

2. Pays en développement

Le droit de prêt doit être rejeté dans l'intérêt du public dans les pays qui ne peuvent pas financer le droit de prêt sans opérer des prélèvements sur des ressources réservées à des services plus fondamentaux. Le droit de prêt doit ainsi ne pas être créé dans les pays ayant, selon la Banque mondiale, un revenu faible ou moyen.

Justification
Dans les pays en développement, la priorité est que les crédits affectés aux besoins culturels doivennt d'abord servir à fournir un large accès à l'éducation et au développement de bonnes bibliothèques publiques. Les bibliothèques doivent pouvoir concentrer leurs maigres budgets sur l'amélioration de l'alphabétisation et sur les besoins éducatifs de base, fournir aux étudiants des ressources modernes, développer des services innovants pour favoriser l'information sur la santé, la prévention du SIDA, les techniques agricoles et la participation démocratique dans les communautés rurales.

En accroissant le taux d'alphabétisation et en encourageant la lecture, les bibliothèques encouragent le développement à long terme d'un marché pour l'information, en particulier pour les industries locales. À cours terme, les bibliothèques utilisent leur pouvoir d'achat pour soutenir ces industries.

Si le droit de prêt était introduit dans les pays en développement, l'État serait incapable de prélever des crédits pour le payer sans compromettre sévèrement d'autres services, tels que les services médicaux de base qui peuvent être considérés comme plus importants pour l'intérêt général. Les bibliothèques publiques de ces pays ne sont pas en état de payer le droit de prêt sans nuire à leurs services de base. Si de nouvelles charges sont introduites pour accéder aux bibliothèques publiques la plupart des gens seront incapables de les payer. La fréquentation de la bibliothèque diminuerait ce qui aurait un impact négatif sur l'alphabétisation et la croissance économique de ce pays.

Il faut aussi noter que les pays en développement devraient payer des droits plus importants pour les auteurs étrangers que pour leurs nationaux.

3. Cadre légal

Si le droit de prêt était introduit, il doit représenter soit un soutien culturel soit un droit de rémunération spécifique en dehors des lois sur le droit d'auteur.

  1. S'il est proposé d'introduire le droit de prêt ou de modifier la loi existante, les bibliothécaires doivent lancer une vigoureuse campagne dans l'intérêt public pour s'assurer que les bénéfices du droit de prêt soient bien affectés aux auteurs, sans nuire à l'accès du public à l'information et sans utiliser les crédits réservés aux bibliothèques.
  2. Dans le cas où l'introduction du droit de prêt est rendu nécessaire par les traités ou conventions au niveau international, les pays doivent pouvoir établir des taux de droits et des règles d'exécution en rapport avec leur situation financière et leurs règles de fonctionnement sans nuire aux objectifs des bibliothèques publiques. Ces pays doivent pouvoir obtenir une dérogation temporaire qui tienne compte de leur situation économique et sociale. L'introduction du droit de prêt et le taux de rémunération choisi doivent tenir compte de la richesse du pays afin que le dommage causé à l'accès à l'information soit minimisé ou évité.

Justification
Si l'introduction du droit de prêt n'est pas correctement organisée, des dommages aux collections de bibliothèques risquent d'en résulter ainsi que la suppression d'un libre accès dont bénéficient actuellement les citoyens pour la culture, l'éducation, l'information et les idées grâce aux portes du savoir que reprénsentent les bibliothèques publiques. Choisir le mauvais système de droit de prêt pour l'intérêt du pays peut, surtout dans le cas des pays en développement ou dans les pays où les collections des bibliothèques publiques sont à majorité étrangères, conduire à transférer - pour se conformer aux règles du droit d'auteur - des ressources précieuses vers des auteurs étrangers (surtout dans des pays plus riches) selon les lois du droit d'auteur. Ce serait au détriment de l'économie et de la culture nationales.

4. Définitions juridiques

Une définition ou une explication des phrases ou des termes utilisés dans la législation est importante et les bibliothécaires doivent veiller à ce que les lois soient correctement écrites.

Justification
La seule définition supranationale du droit de prêt est la directive de l'UE 92/100/EEC qui précise dans les articles 1(2) et 1(3) que prêter signifie « mettre à disposition pour un usage dans un temps limité sans avantage économique ou commercial direct ou indirect, par un établissement accessible au public ». En l'absence de tout traité ou convention international relatif au droit de prêt, cette directive va influencer les pays qui envisagent d'introduire le droit de prêt. Cependant, les pays hors de l'Union européenne (autres que les pays candidats) ne sont pas liés par sa formulation et n'ont aucune obligation de la suivre.

Les dangers de la rédaction sont tels qu'on peut noter que, dans le cas de l'UE, des phrases comme « mettre à disposition pour un usage » peuvent être interprétées beaucoup plus largement que ce qui est couramment compris dans le langage courant. Ainsi puisque cette expression inclut aussi l'usage actuel des ouvrages de références dans les bibliothèques suédoises et cette extension du droit de prêt a été proposée au Royaume-Uni.

Un autre exemple, lorsqu'EBLIDA, the European Bureau of Library, Information and Documentation Associations, a rappelé à la Commission européenne que l'impossibilité de fournir une liste exhaustive des catégories d'« établissements accessibles au public » qui figure dans la directive, a alimenté une discussion entre la Commission européenne et certains États sur les catégories d'établissements accessibles au public qui pouvaient être exemptés du droit de prêt. Comme EBLIDA l'a signalé, la dernière harmonisation par la Directive sur la société de l'information 2001/29/EC indique que les catégories d'établissements qualifiés « d'accessibles au public" » sont en fait les bibliothèques publiques, les établissements d'enseignement, les musées et les archives qui sont potentiellement exemptés .
(EBLIDA Statement on the infringement procedures over Public Lending Right, March 2004)

5. Consultation et implication

  1. Les bibliothécaires doivent faire du lobbying pour s'assurer que, selon la pratique courante dans les pays ayant adopté le droit de prêt, ils soient consultés au même titre que les détenteurs de droits dès le début sur la proposition de loi et le processus de création et de fonctionnement du droit de prêt. Les bibliothécaires doivent aussi être invités à participer , en tant que représentants des détenteurs de droits, aux comités consultatifs quimettent au point le projet, conseillent les administrateurs du droit de prêt et négocient les droits avec les détenteurs de droit et les société de gestion collectives des droits.
  2. En outre, dans les pays où un système de licence fonctionne et non un système défini à des fins culturelles, les bibliothécaires doivent s'assurer d'être impliqués dans les négociations avec les sociétés de gestion collective des droits pour définir les termes des conditions et le montant des droits pour leurs licences de prêt.
  3. Toute législation doit être établie en étroite collaboration avec tous les intéressés, y compris les organisations de bibliothèques.

Justification
Il est important que l'administration du droit de prêt fonctionne efficacement et n'absorbe pas, par ses coûts, une trop grande part du financement obtenu afin qu'une part maximale de la rémunération soit versée aux intéressés et que le travail administratif des bibliothèques soit réduit au minimum ou soit même inexistant. La meilleur façon de s'assurer la coopération des intéressés et la bonne marche du système et d'impliquer les bibliothécaires et les détenteurs de droit dans la préparation de la loi.

Traduction : Marc Chauveinc (cfi.ifla@free.fr) 14 avril 2005 (avec la collaboration de Michèle Battisti (michele.battisti@adbs.fr )


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