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2e mission UNESCO, 27 juin-6 juillet 2003 par Jean-Marie ARNOULT, Inspecteur général des bibliothèques
- Le vandalisme et le pillage ordinaires des bâtiments n'auront que des conséquences secondaires sur le plan architectural : réparation des huisseries (portes et fenêtres), remise en état des plafonds, des systèmes de ventilation, des cloisons, etc. Ces travaux auront certes des coûts considérables, mais ils peuvent être conduits rapidement dès l'instant où la structure des bâtiments n'ayant pas été atteinte, il n'est pas nécessaire d'intervenir sur le gros œuvre.
- Des reconstructions sont d'ores et déjà à prévoir. Le dossier est d'une grande ampleur mais son ouverture peut être l'occasion de reconsidérer les programmes architecturaux des bibliothèques dont la fonctionnalité corresponde davantage aux exigences contemporaines.
- On exclut donc tout projet de réutilisation définitive de bâtiments existants qui n'ont pas été conçus pour recevoir des activités avec des contraintes particulières et qui ont pu avoir été fragilisés dans leur passé récent.
- Néanmoins, et compte tenu des délais nécessaires au montage des dossiers (qu'il s'agisse des aspects liés à la localisation des nouveaux établissements, aux programmes architecturaux, à la passation des marchés, et à la construction), il est fortement recommandé de trouver de toute urgence des locaux provisoires susceptibles d'accueillir les collections dispersées dans des locaux inadaptés afin de les traiter (nettoyage, inventaires), d'accueillir les personnels qui doivent être remotivés et remis au travail.
- Il s'agit davantage de reconstruction que d'une simple reconstitution qui supposerait un remplacement pièce à pièce des livres détruits. Soumises pendant plus d'une décennie à des restrictions budgétaires considérables et à l'embargo qui a réduit de manière aveugle les possibilités d'acquisition, les bibliothèques irakiennes sont doublement sinistrées.
- Pour les collections patrimoniales (Bibliothèque Nationale et Archives Nationales), la reconstitution par reproduction des documents détruits exigera une large coopération internationale, notamment avec les pays qui ont des liens historiques avec l'Irak.
La reconstruction des bibliothèques passe obligatoirement par la requalification des professionnels, par la mise en place d'un système provisoire de formations en attendant la création d'un enseignement initial diplômant pour les métiers du livre, de la documentation et des archives, et la restructuration des carrières.
Tous les secteurs de la bibliothéconomie et de l'archivistique sont à prendre en compte par des formations
- sur place en faisant appel à des professionnels de la région,
- à l'étranger pour la formation de formateurs,
en privilégiant notamment les domaines suivants : traitements de conservation préventive, catalogage, recherche bibliographique, informatique de gestion et informatique documentaire, nouvelles technologies, lecture publique.
Elle constitue à l'évidence l'un des importants dossiers de la reconstruction de l'Irak tout entier. Bibliothèques et archives ne sont donc pas les seules concernées, mais on insiste sur la nécessité à prendre en compte cet aspect de toute urgence, à ne pas l'oublier ou à sous-estimer son importance pour la réussite de la remise en route des institutions culturelles, patrimoniales et universitaires irakiennes.
Il importe enfin de prévoir en urgence l'ouverture de deux dossiers législatifs qui conditionnent le bon fonctionnement du système entier des bibliothèques et des archives par leurs incidences sur la vie du pays : le dépôt légal des documents produits en Irak, et la loi sur les archives.
Après une première mission (17-20 mai 2003) conduite essentiellement sur le patrimoine muséographique et archéologique, l'UNESCO a mis en place une seconde mission destinée à approfondir l'évaluation initiale en l'ouvrant notamment aux bibliothèques et aux archives.
Elle avait pour but notamment de faire un bilan de la situation des institutions culturelles irakiennes pour identifier leurs besoins urgents et pour esquisser des projets de réhabilitation et de restauration, à moyen et long termes.
Conduite par Mounir Bouchenaki, adjoint du directeur général de l'UNESCO pour la culture, elle a été organisée du 27 juin au 6 juillet 2003 avec le concours de la représentation de l'UNESCO à Bagdad ; elle était composée de 4 archéologues, 1 architecte, 1 spécialiste de conservation, 1 représentant d'Interpol et 1 bibliothécaire.
Pour des raisons de sécurité, les membres de la mission ont toujours travaillé ensemble.
La mission a été ouverte et conclue par une réunion avec l'ambassadeur Piero Cordone, chargé de la culture au sein de la Coalition Provisional Authority (CPA), assisté d'experts britanniques (représentant du ministère de la culture, représentants du British Museum) et d'un officier de liaison américain. Les autorités irakiennes étaient représentées par Muayad S. Damerji, conseiller pour le patrimoine et l'archéologie et par Wishyar Muhammad conseiller pour les bibliothèques.
J'ai fait un compte rendu de la mission à la Section des intérêts français en Irak le 2 juillet (François Blamont, Conseiller de coopération et d'action culturelle).
Un choix très large et très diversifié des institutions à visiter avait été établi par les représentants de l’UNESCO à Bagdad et par l’UNESCO à Paris, en tenant compte de l'expérience de la première mission, des informations collectées auprès de personnes ayant visité récemment l'Irak, des souhaits formulés dans l'absolu et des exigences de la sécurité.
Sur place, ce choix a d'abord subi les contraintes quotidiennes qui ont obligé à des adaptations et à des compromis en fonction des possibilités offertes lors des déplacements autorisés. Comme le temps était forcément trop court pour visiter toutes les bibliothèques programmées, en accord avec le chef de la mission, j'ai décidé de privilégier les institutions relevant des ministères (ministère de l'éducation, ministère de la culture, ministère des affaires religieuses) : bibliothèques municipales, bibliothèques universitaires et bibliothèques religieuses. Cet échantillon n'est sans doute pas représentatif de la totalité des bibliothèques irakiennes mais il permet de synthétiser la plupart des grandes questions posées par la situation actuelle et de proposer des réponses adaptables dans la majorité des cas.
Le Centre des manuscrits qui a concentré une grande partie du patrimoine irakien ancien n'a subi aucun dommage : le bâtiment est en bon état et n'a pas été pillé. La collection compte environ 47 000 manuscrits ; elle a été augmentée au cours des dernières années d'un nombre non négligeable de collections de taille plus ou moins importante. Évacuée au cours des semaines qui ont précédé le conflit dans un lieu longtemps tenu secret (abri antiatomique), elle peut être considérée comme sauve à 100 %. Je n'ai pas été autorisé à voir la collection, mais je n'ai pas de raisons de mettre en doute les affirmations des autorités irakiennes (directeur du Centre, conseiller pour les bibliothèques de la CPA, ingénieur pour les bâtiments à la Ville de Bagdad). A la question concernant les actuelles conditions de conservation dans l'abri (température, humidité), il a été répondu qu'elles étaient correctes.
Le retour de la collection, qui se fera lorsque la sécurité sera restaurée à Bagdad, est prévu dans les locaux actuels qui ne semblent pourtant pas avoir été améliorés depuis ma visite de novembre 1999.
Au cours de la discussion avec le directeur du Centre et le conseiller de la CPA, il n'a pas été exclu que les manuscrits restent encore un certain temps dans leur abri antiatomique, ce qui pourrait à terme compromettre leur consultation par les chercheurs. Cet aspect, qui anticipe d'ores et déjà sur un retour à la vie quotidienne normale, ne semble pas préoccuper les autorités irakiennes qui comptent utiliser les microfilms réalisés (stockés dans un autre lieu tenu secret).
Le laboratoire et l'atelier de restauration attachés au Centre (situés dans une maison à une cinquantaine de mètres du Centre), pour lesquels j'avais effectué une mission d'aide spécifique en 1999, ont été totalement pillés : il ne reste rien, que des salles vides comme venant d'être déménagées. Tout le matériel de reliure, les fournitures, les appareils dont certains hors d'âge et sans intérêt, ont disparu, y compris les chutes de papier, de cuir, tout ce qui fait la vie d'un atelier de reliure dans lequel travaillaient 5 à 6 personnes. Seule une pièce qui servait de dépôt avant la guerre est pleine de défets de reliures entassés et d'objets brisés, présentés comme l'œuvre des vandales. L'impression générale que j'ai tirée de cette visite (hormis l'arrachement des climatiseurs) est plutôt un déménagement qu'un pillage.
La Bibliothèque Nationale a subi d'importants dégâts : le bâtiment (construit en 1977) a été brûlé et pillé à deux reprises le 14 avril et une semaine plus tard. Le rez-de-chaussée où se trouvait la salle de lecture a été saccagé : fichiers renversés, départs d'incendie des livres (usuels) en divers endroits. Le constat immédiat qui peut être fait, c'est que ces incendies ont été organisés avec méthode. Manifestement, des livres ont été rassemblés puis brûlés avec un produit comburant de telle sorte qu'ils ont été brûlés entièrement en dégageant une très haute température capable de faire fondre les rayonnages et d'atteindre la structure du bâtiment. Le béton a en effet été fortement endommagé : une étude faite par l'ingénieur responsable des services techniques de la Ville de Bagdad a conclu à l'impossibilité de restaurer le bâtiment. Ce qui impressionne, outre les vitres explosées sous l'effet de la chaleur, les plafonds tordus et fondus, les caméras à microfilms fondues et réduites à des amas de plastique à peine reconnaissables, ce sont les livres dont il ne reste rien, que des épaisseurs de cendres au travers desquelles on enfonce la main sans rencontrer aucune résistance.
J'ai effectué deux visites du bâtiment pour compléter et recouper mes informations, et m'assurer de certaines constatations. La conclusion est que l'incendie d'une rare violence a été maintenu pendant plusieurs heures à l'aide d'un produit ce qui exclut tout incendie de pillards à la recherche d'équipements ou de petits matériels qu'on retrouve par ailleurs dans les salles (chaises, équipements du laboratoire photographique) à l'état de magma.
Les collections
Il a toujours été difficile de connaître avec précision l'état des collections qui a fluctué, en fonction du mode de comptage des périodiques, de 412 000 volumes (World of learning, 2002) à 12 millions (d'après le directeur du Centre des manuscrits). La réalité est plus proche du million de volumes compte tenu des magasins et de leurs capacités. Lors de ma visite en 1999, tous les magasins donnaient une impression de saturation et beaucoup de livres se trouvaient à même le sol, autant par négligence que par manque de place. Le chiffre d'1 500 000 volumes semble raisonnable.
Entre le premier incendie et le second (environ une semaine), une équipe composée de personnels de la bibliothèque et de bénévoles ont entrepris le déménagement des collections vers une mosquée chiite de Saddam City (quartier devenu Révolution City) et vers un local du ministère du tourisme. Actuellement, les collections sont réparties comme suit :
- environ 700 000 volumes (il s'agit d'une estimation : le nombre de mètre linéaires n'a pu être fourni) sont restés dans des magasins au rez-de-chaussée et au 2e étage du bâtiment (collections constituées de dons et de petits fonds). Il n'a pas été possible d'entrer dans le magasin du rez-de-chaussée malgré mes demandes pressantes, sous le prétexte que les portes sont solidement fermées et qu'on ne pourrait plus les refermer de manière aussi dissuasive si elles étaient ouvertes. Le bâtiment n'étant pas gardé par la CPA, le directeur craint que les pillards ne reviennent. C'est donc par une fenêtre que j'ai pu apercevoir les livres sur leurs rayonnages ;- environ 300 000 volumes (environ 300 m3 ?) dans une mosquée chiite, dans une pièce de 12 x 8 x 4 m, sans aération, pleine aux deux tiers de livres empilés du sol au plafond ; la sécurité contre le vol est assurée, mais les conditions thermohygrométriques sont épouvantables. Par ailleurs, des rongeurs semblent avoir été repérés ;
- environ 200 000 volumes (estimation : principalement des livres précieux) seraient entreposés à Bagdad, dans un local dépendant du ministère du Tourisme, où les conditions de conservation seraient mauvaises ; je n'ai pas pu voir ce local.
Tous les inventaires sont réputés détruits par le feu ou par vandalisme. Quant aux fichiers, seuls subsistent une partie de ceux qui étaient en salle de lecture (ceux des services intérieurs ont été brûlés). Dans la grande salle de lecture du rez-de-chaussée, certains fichiers ont été renversés, des documents administratifs, voire des documents d'archives, jonchent le sol et tous les visiteurs les foulent chaque jour davantage. J'ai recommandé au directeur de ramasser toutes les fiches et tous les documents, de les rassembler dans des cartons après les avoir nettoyés sommairement.
Lors de la visite effectuée fin 1999, j'avais constaté des négligences flagrantes dans la gestion de la bibliothèque, l'absence de professionnels. La gestion du dépôt légal n'était pas assurée régulièrement, les magasins étaient mal tenus ; l'ensemble donnait une impression de laisser-aller inquiétant. Les services intérieurs étaient mal entretenus ; le service de reproduction était inopérant (les 8 caméras étaient en panne de manière définitive), le service de reliure et de restauration pratiquait des travaux d'une qualité indigne d'une bibliothèque nationale, non seulement en raison du manque de fournitures, mais par manque de formation appropriée. Dans les magasins des dons situés au 2e étage, on a pu faire les mêmes constats qu’en 1999 : livres mal rangés, posés à même le sol, négligences permanentes.
Les Archives Nationales se trouvaient dans le même bâtiment que la Bibliothèque Nationale, au 3e étage. Le même type d'incendie a ravagé le service, détruisant les collections qui s'y trouvaient et dont il ne reste que des cendres épaisses, les matériels et le mobilier qui ont fondu sous l'effet de la chaleur.
Une partie des collections aurait été transférée, et donc sauvée, dans les mêmes locaux que les livres de la Bibliothèque Nationale : dans la mosquée de Révolution City, dans des sacs (40 à 50 sacs), et dans des locaux du ministère du Tourisme. J'ai pu voir les sacs entreposés à la mosquée, dans des conditions particulièrement mauvaises, mais je n'ai pas pu voir le dépôt du ministère du Tourisme. Il est difficile de connaître exactement la nature des destructions : les avis recueillis sont partagés, voire divergents, comme les commentaires recueillis par d'autres visiteurs. Comme je n'ai pas été autorisé à ouvrir des sacs, je m'en tiens aux affirmations des autorités irakiennes (directeur de la Bibliothèque Nationale et des Archives Nationales) : auraient été sauvées les archives de la période du Mandat britannique jusqu'à la Révolution de 1958, mais sans certitudes concernant la période ottomane. Les inventaires et catalogues qui se trouvaient dans la salle de lecture et dans les services intérieurs ont été détruits et il ne semble pas qu'il y ait eu de copies complètes dans d'autres endroits.
Les personnels
Dans les deux services de la Bibliothèque Nationale et des Archives Nationales, sont employées 119 personnes, sous la direction unique de M. Khamel Djoad Hachour. Elles reçoivent en principe leur salaire.
La Bibliothèque des Awqaf a été détruite par le feu selon la technique utilisée à la Bibliothèque nationale ; il ne reste du bâtiment que les murs extérieurs.
Il n'a pas été possible de rencontrer des responsables qui ne viennent plus régulièrement sur le site.
D'après les informations recueillies (Al Tikriti, p. 5), la situation des collections serait la suivante (par rapport à la description Al-Furqan, I 7, II 216) : environ 40 % des manuscrits auraient été détruits (par le feu et par pillage), et 90 % des livres imprimés auraient été détruits. Le bâtiment n'est pas réutilisable.
La bibliothèque n'a pas été endommagée par le feu mais par le pillage : tous les équipements et les matériels ont été volés (y compris les portes, les fenêtres, les appareils de climatisation, etc.). Une partie des collections a été volée, mais restituée ultérieurement ; il n'y aurait que 2 % de pertes.
Les manuscrits, au nombre de 168 (Al-Furqan, I 15) auraient été pillés d'après le directeur du Centre des manuscrits.
Cette bibliothèque n'a pas été visitée au cours de la mission ; les informations ont été transmises par M. Wishyar Muhammed, conseiller pour les bibliothèques auprès de la CPA.
La Bibliothèque publique centrale a été totalement détruite par le feu ; il est possible qu'elle ait été pillée au préalable. Il reste les murs dont le béton a été soumis à de fortes températures. La méthode utilisée est similaire à celle utilisée à Bagdad : des produits comburants ont probablement été employés pour activer l'incendie et brûler intégralement les livres, le mobilier, le matériel. Il est probable que le bâtiment ne puisse pas être réutilisé. Elle conservait 14 manuscrits d'après le relevé Al-Furqan (II 233).
Le bâtiment de la Bibliothèque centrale a été vandalisé, les fenêtres ont été brisées et tout ce qui pouvait être enlevé ou cassé l'a été systématiquement. Les rayonnages ont été également pillés. Le mobilier (tables, chaises) a disparu ainsi que l'équipement bureautique.
Les collections ont été rassemblées en divers endroits pour y être détruites par le feu ; les collections auraient été détruites à 75 %.
Il n'a pas été possible de savoir si les manuscrits recensés, au nombre de 600 (Al-Furqan I 28, II 232) ont été sauvés.
Cette petite bibliothèque d'une association fondée en 1950, située dans le quartier ancien, aurait été pillée. Elle a été reconstituée par les membres de l'association.
Elle se compose actuellement d'environ 400 volumes imprimés. Elle est installée à l'étage d'une maison ancienne, avec une salle de lecture modeste.
La bibliothèque étant fermée au moment de la visite, seul un examen de l'extérieur a été possible. En apparence, le bâtiment présente quelques dégradations (vitres cassées, portes fracturées). Mais l'examen de l'intérieur de la bibliothèque à travers les fenêtres du rez-de-chaussée a permis de constater que les collections sont intactes sur les rayonnages et que le mobilier est en place. Si des pillages ont eu lieu, ils n'ont pas perturbé le fonctionnement de la bibliothèque.
401 manuscrits ont été répertoriés (Al-Furqan, I 37).
La bibliothèque universitaire centrale, située au cœur du campus, a été pillée (mobilier, équipements et collections), mais n'a pas été incendiée. Le bâtiment n'a donc pas souffert dans ses structures comme à Bagdad ou à Bassora
Une réaction énergique des autorités religieuses de la ville (appels lancés dans les mosquées stigmatisant le vol de livres et exigeant leur restitution) a permis de récupérer une partie non négligeable des ouvrages volés. Un bilan fait par le personnel de la bibliothèque indiquerait néanmoins une perte d'environ 30 % des collections.
Cette bibliothèque est exemplaire d'une remise en état rapide grâce à la volonté des personnels avec l'appui des militaires américains. Ceux-ci ont débloqué rapidement des crédits pour acheter du mobilier (tables, chaises) et effectuer les réparations indispensables (vitres et portes) pour clore les locaux. Par ailleurs, des efforts considérables ont été déployés par les personnels pour nettoyer la bibliothèque, la rendre accessible aux étudiants dans des conditions quasi normales et les enseignants ont sollicité leurs collègues étrangers pour obtenir des livres en dons.
La bibliothèque du Musée, située en sous-sol, a été pillée comme les collections du Musée, de manière organisée et parfaitement ciblée : seuls des ouvrages de référence ont été volés (une dizaine) ; un départ d'incendie a été constaté dans la salle de lecture, mais sans conséquences.
Les bibliothèques décrites ne constituent qu'un échantillon dont il reste à valider la représentativité à mesure que des visites vont être faites dans d'autres lieux.. Néanmoins, il est possible, à partir de ces exemples d'identifier les principales difficultés auxquelles est confrontée la réorganisation des institutions documentaires en Irak, que ne doit pas obérer la sauvegarde du patrimoine historique.
Dans cette logique, on exclut donc le Centre des manuscrits qui nécessitera des mesures propres dont bénéficieront à terme les bibliothèques patrimoniales semi-privées ou privées.
On distingue quatre types de dossiers :
Une grande partie des bâtiments visités ont subi des dommages dont les plus importants sont dus aux incendies. Néanmoins, un nombre élevé de bâtiments ont eu à souffrir d'actes de vandalisme et non pas de destruction organisée.
Le vandalisme et le pillage ordinaires des bâtiments n'auront que des conséquences secondaires : réparation des huisseries (portes et fenêtres), remise en état des plafonds, des systèmes de ventilation, des cloisons, etc. Ces travaux auront certes des coûts considérables, mais ils peuvent être conduits rapidement dès l'instant où la structure des bâtiments n'ayant pas été atteinte, il n'est pas nécessaire d'intervenir sur le gros œuvre. La Bibliothèque centrale universitaire de Mossoul est exemplaire à ce titre : en quelques semaines elle a pu être à nouveau ouverte aux étudiants ; il reste encore à faire, mais l'essentiel a été fait.
Un certain nombre de bibliothèques ont été incendiées, au premier rang desquelles la Bibliothèque nationale. Comme on l'a constaté, les incendies ont été provoqués de manière organisée, avec une volonté destructrice évidente. Il ne s'agit plus seulement de vitres à remplacer, de plafonds éventrés à reposer, de câbles à repasser ; chaque fois, c'est le gros œuvre qui a été atteint et sa fragilisation remet en cause l'édifice lui-même en son entier. C'est le cas à la Bibliothèque Nationale (une étude technique a été faite), à la Bibliothèque publique centrale à Bassora : les structures ont été détruites à un degré tel qu'une réparation n'est pas envisageable et il serait illusoire de considérer que des remises en état seraient suffisantes.
Des reconstructions sont d'ores et déjà à prévoir. Le dossier est d'une grande ampleur mais il peut être l'occasion de reconsidérer les programmes architecturaux des bibliothèques dont la fonctionnalité corresponde davantage aux exigences contemporaines.
On exclut donc tout projet de réutilisation de bâtiments existants qui n'ont pas été conçus pour recevoir des activités avec des contraintes particulières et qui ont pu avoir été fragilisés dans leur passé récent.
Néanmoins, et compte tenu des délais nécessaires au montage des dossiers (qu'il s'agisse des aspects liés à la localisation des nouveaux établissements, aux programmes architecturaux, à la passation des marchés, et à la construction), il est fortement recommandé de trouver de toute urgence des locaux provisoires susceptibles d'accueillir les collections dispersées dans des locaux inadaptés afin de les traiter (nettoyage, inventaires), et d'héberger les personnels qui doivent être remotivés et remis au travail.
Il s'agit davantage de reconstruction que d'une simple reconstitution qui supposerait un remplacement pièce à pièce des livres détruits. Soumises pendant plus d'une décennie à des restrictions budgétaires considérables et à l'embargo qui a réduit de manière aveugle les possibilités d'acquisition, les bibliothèques irakiennes sont doublement sinistrées.
- Dans la plupart des cas, les catalogues et inventaires ont été totalement détruits ou suffisamment perturbés pour être difficilement utilisables en l'état ; il est donc nécessaire de procéder à un travail de vérification de ce qu'il reste des inventaires et des catalogues, préalable à un récolement des collections sauvées.
- Le récolement terminé ou suffisamment avancé, il sera possible d'identifier les secteurs dans lesquels les acquisitions sont indispensables pour reconstituer et remettre à niveau les collections soit par achats, soit par dons. Il est probable que la communauté internationale, sensible aux difficultés des bibliothèques irakiennes, proposera des dons de livres ; il conviendra de veiller à ce que ceux-ci correspondent à des besoins réels exprimés par les autorités irakiennes.
Pour les collections patrimoniales (Bibliothèque Nationale et Archives Nationales), la reconstitution par reproduction des documents détruits exigera une large coopération internationale avec notamment les pays qui ont des liens historiques avec l'Irak.
La situation économique et politique du pays avait largement perturbé les professionnels des bibliothèques et des archives. Il avait été donné de constater, il y a quelques années, que les bibliothèques avaient perdu une grande partie de leurs professionnels, privés de tâches techniques et scientifiques justifiant leur présence dans les établissements où ne se rencontraient guère que des magasiniers-gardiens des magasins, et des directeurs (titre souvent plus honorifique que professionnel). Au cours de la mission, il n'a pas été possible de vérifier l'état des personnels, mais il est peu probable qu'il ait été modifié au cours des deux dernières années.
La reconstruction des bibliothèques et archives est confrontée à un problème majeur de qualification plus que de main d'œuvre. En effet, si l'on prend le seul cas de la Bibliothèque Nationale et des Archives Nationales, 119 personnes font partie des effectifs (ces personnes recevraient un salaire, mais elles ne viennent pas régulièrement n'ayant pas de travail à faire). Une partie de ces personnels ont reçu une formation mais à une période ancienne (le système de formation initiale étant déficient et devant être rénové en 2000-2001). La reconstruction des bibliothèques passe donc obligatoirement par la requalification des professionnels, par la mise en place d'un système provisoire de formations en attendant la création d'un enseignement initial diplômant pour les métiers du livre, de la documentation et des archives, et la restructuration des carrières.
Tous les secteurs de la bibliothéconomie et de l'archivistique sont à prendre en compte par des formations :
- sur place en faisant appel à des professionnels de la région,
- à l'étranger pour la formation de formateurs,
en privilégiant notamment les domaines suivants : traitements de conservation préventive, catalogage, recherche bibliographique, informatique de gestion et informatique documentaire, nouvelles technologies, lecture publique.
Elle constitue à l'évidence l'un des importants dossiers de la reconstruction de l'Irak tout entier. Bibliothèques et archives ne sont donc pas les seules concernées, mais on insiste sur la nécessité à prendre en compte cet aspect de toute urgence, à ne pas l'oublier ou à sous-estimer son importance pour la réussite de la remise en route des institutions culturelles, patrimoniales et universitaires irakiennes. Réparties avant la guerre entre les ministères de la culture, de l'éducation et des affaires religieuses, ces institutions ont besoin d'une réorganisation administrative profonde que ne doit pas occulter la seule reconstruction de bâtiments ou la réouverture d'établissements ; encore faut-il que ces services et leurs personnels soient inscrits dans une logique administrative et financière qui assure leur fonctionnement, leurs investissements et la pérennité de leurs objectifs au regard de la population d'un pays démocratique.
Il importe enfin de prévoir en urgence l'ouverture de deux dossiers législatifs qui conditionnent le bon fonctionnement du système entier des bibliothèques et des archives par leurs incidences dans la vie du pays : le dépôt légal des documents produits en Irak, et la loi sur les archives.
Depuis la fin du mois d'avril, des informations de plus en plus nombreuses ont circulé sur l'Internet à l'initiative de professionnels des bibliothèques, d'universitaires, d'amateurs, de journalistes, alertés par la situation des bibliothèques en Irak. Plusieurs voyageurs ont effectué des descriptions intéressantes qui donnent progressivement une idée de la situation. Mais si certaines de ces informations sont originales, d'autres ne sont que des transcriptions qui ont subi des altérations lors des transferts successifs.
À l'horreur initiale provoquée par des images fortes (bibliothèque du Centre culturel français, Bibliothèque Nationale) souvent reprises dans les médias sous des angles différents, se substitue peu à peu un sentiment d'incrédulité puis d'interrogation face à la réalité qui se découvre, moins spectaculaire mais plus terrible.
Certes la grande collection de manuscrits pour laquelle on a nourri des craintes pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines en attendant des renseignements précis qui tardaient à venir, est saine et sauve : une partie du patrimoine de l'humanité, infinitésimale en quantité mais colossale en qualité, est intacte. Toutes les précautions auront été prises pour que ce trésor ne tombe pas plus entre les mains des pillards qu'entre les mains de la coalition. Et si ce patrimoine est sauf, c'est à l'Irak qu'on le doit, et plus particulièrement au directeur du Centre des manuscrits lui-même, personnalité emblématique. La catastrophe majeure n'a pas eu lieu. Il reste à faire en sorte que ce patrimoine continue d'être préservé dans de bonnes conditions. A priori, c'est chose acquise.
Mais il reste aussi à admettre que les bibliothèques irakiennes ont été profondément perturbées, dans leurs locaux, dans leurs collections et dans leurs personnels. Ce constat est moins spectaculaire aux yeux de l'opinion publique mais il témoigne à lui seul d'une catastrophe majeure pour le pays. Réorganiser le quotidien des bibliothèques et des archives, instruments de travail indispensables pour le retour à la sérénité, organiser leur réseau, leurs administrations respectives, sont des tâches considérables dont on ne peut faire l'économie dans un pays démocratique.
UNESCO
Mounir Bouchenaki, Assistant du Directeur général pour la culture, chef de la mission
Groupe A
Groupe B
Date | Lieu | Nuit | Remarques |
28/6/03 | Arrivée à Bagdad Réunion l'après midi |
Bagdad | |
29/6/03 | Archeological Museum Bash A’yan alAbbasiyya (Archives) |
Bassorah | |
30/6/03 | Nasiriyya Maktabat Al-Jamal Al-Din Diwaniyya Cleric’s Private collection Nadjaf Kerbala’a |
Bagdad | |
1/7/03 | Bibliothèques, archives et institutions Iraqi Museum Musical Academy Folklore Institute Bâtiments historiques et sites religieux |
Bagdad | |
2/7/03 | Musée de Mossoul | Mossoul | |
3/7/03 | Dohuk Museum Archives et bibliothèques Maktabat Karakosh Madrasat Al- Jalili Maktabat Mahmud Al- Jalili |
Mossoul | |
4/7/03 | * Erbil * Kirkuk |
Bagdad | * Recommandation du Dr. Dony George * Recommandation du Dr. Dony George |
5/7/03 | Réunion le matin Départ pour Amman l'après midi |
Date | Lieu | Nuit | Remarques |
28/6/03 | Arrivée à Bagdad Réunion l'après midi |
Bagdad | |
29/6/03 | Uruk Ur Eridu |
Bassorah | 20 Km à l'est de Samawa 315 Km au sud-est de Bagdad |
30/6/03 | Larsa Isin Umma et Umm Al-Aqarib |
Bagdad | 30 Km à l'est de Samawa, près d'Uruk |
1/7/03 | Babylone (sites + 2 musées) Kish |
Bagdad | 90 Km au sud de Bagdad 85 km au sud de Bagdad ; 15 Km à l'est de Babylone |
2/7/03 | Tell Harmal Kufa Al- Ukhaidir |
Bagdad | Dans Bagdad Jadida 120 Km de Bagdad |
3/7/03 | Musée Irakien, Trésor de Nemrod Ashur |
Mossoul | 112 Km au sud de Mossoul |
4/7/03 | Ninive Khorsabad / Dur Sharrukin Nimrud Hatra |
Bagdad | De l'autre côté du Tigre de Mossoul 20 Km au nord-est de Mossoul 37 Km au sud-est de Mossoul 100 Km au sud-est de Mossoul |
5/7/03 | Réunion le matin Départ pour Amman l'après midi |
Parmi les nombreuses publications sur les bibliothèques et archives parues dans les médias et sur l'Internet depuis le mois d'avril, on signalera plus particulièrement ces trois études qui donnent une idée des bibliothèques et des archives en Irak, avant et après la guerre.
La première est la liste quasi exhaustive des bibliothèques irakiennes, publiques et privées, qui conservent des manuscrits ; elle a été établie par le directeur du Centre des manuscrits de Bagdad :
World survey of islamic manuscripts, vol. 2 : Irak, by Usama Nasir al-Naqshabandi. Wimbledon, Al-Furqan Foundation, 1992 ; Supplement, vol. 4 (1994).
Les deux rapports suivants ont été rédigés par des étudiants qui ont joué un rôle non négligeable pour sensibiliser la communauté internationale au sort des bibliothèques irakiennes après la guerre à partir d'informations sérieuses :
Edouard Méténier, Aperçu sur l'état des bibliothèques et dépôts d'archives irakiens au terme de la guerre d'avril 2003 (mai 2003).
Nabil Al-Tikriti, Iraq Manuscript Collections, Archives and Libraries. Situation report, 8 June 2003.